Bombus sp Trifolium

Témoignage de scientifique : Benoît Geslin

25/05/2020

B Geslin - terrain inventaires

Benoît Geslin, enseignant chercheur spécialiste des interactions entre les plantes et abeilles sauvages à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale de l’Université d’Aix-Marseille.


Quels sont vos sujets de recherche?

Je travaille sur les  interactions plantes insectes depuis une dizaine d’années. Suite à ma thèse avec Isabelle Dajoz (Sorbonne Université), je suis parti en Argentine et en Afrique du Sud poursuivre en post doctorat. Depuis 5 ans, je suis enseignant chercheur à l’université d’Aix-Marseille. Mes travaux portent sur les effets de perturbations sur les interactions plantes pollinisateurs avec des corpus théoriques issus de l’écologie du paysage et de la théorie des graphes. Je co-dirige actuellement 3 thèses dont une relative aux questions de cohabitation entre abeilles domestiques et sauvages dans les espaces naturels.

Déclins des insectes : les scientifiques sonnent l’alerte

On a historiquement beaucoup de publications qui vont travailler à l’échelle de gradients environnementaux comme par exemple l’urbanisation. Depuis 2006, il y a une multiplication d’études sur l’évolution à long terme des populations d’insectes et les résultats sont alarmants. Une étude allemande publiée en 2017 dans la revue PlosOne a montré en 27 ans, un effondrement de 75 % de la biomasse de l’ensemble des insectes volants à partir d’échantillonnages dans 63 réserves réparties sur l’ensemble de l’Allemagne. C’est ahurissant !

Ces constats sont renforcés depuis : 10 % des espèces d’abeilles présentes en Europe sont menacées d’extinction, alors même que sur les 2000 espèces Européenne, on n’a pas assez d’informations pour plus de 50% d’entre elles. Une étude anglaise de 2019  que les populations de plus d’un tier des pollinisateurs comme les abeilles sauvages et de syrphes ont déclinés entre 1980 et 2013  (Powne et al, 2019). Quelques espèces communes d’abeilles très anthropophiles et généralistes s’en sortent mais les espèces rares, qui sont parfois plus spécialisées pour polliniser des espèces végétales spécifiques, sont  particulièrement menacées.

Les causes de ce déclin sont pourtant connues. En premier lieu, c’est la destruction des habitats naturels et l’homogénéisation des paysages au profit des villes et de l’agriculture. Ensuite, c’est la pollution avec l’usage des pesticides. Les autres causes sont également liées à l’homme comme l’introduction d’espèces exotiques invasives, le changement climatique, la pollution lumineuse.

Concurrences entre abeilles sauvages et mellifères

Le grand public est souvent sensibilisé par le déclin des abeilles mellifères mais ces abeilles sont très généralistes. Des études sur l’efficacité de la pollinisation ont démontré que les abeilles sauvages étaient plus efficaces pour la pollinisation (Garibaldi et al., 2013). Le service de pollinisation essentiel à l’agriculture nécessite une meilleure prise en compte de la préservation des centaines d’espèces abeilles sauvages (près de 1000 espèces en France). En milieu urbain et naturel, la compétition entre abeilles sauvages et domestiques est avérée quand il y a une trop forte concentration d’abeilles mellifères. Nous travaillons sur des protocoles de conciliation basé sur la distance entre ruchers pour qu’il y ait des zones de respiration pour les communautés d’abeilles sauvages. Le Conservatoire du littoral par exemple a mis ça en place sur certains sites à enjeux.

A l’échelle locale, peut-on encore comment agir ? et comment ?

Si on n’agit pas, ce ne pourra être que trop tard ! La première mesure est d’arrêter de mettre du béton partout,  il faut dés-imperméabiliser un maximum les sols. Chaque mètre carré gagné sur le béton est une avancée pour la biodiversité.  Ensuite il faut appliquer le plan Ecophyto et aller au-delà : arrêter cette folie des pesticides et l’arrêter dès que possible !

Evitez de planter n’importe quoi, n’importe où !

Pour les pollinisateurs, il faut planter des fleurs et des arbres ! Par exemple, en plantant un arbre à fleurs entomophiles on donne 400 m² aux abeilles au bas mot, sans compter les multiples ramifications internes ?

Végétal local est une démarche essentielle car elle respecte les régions biogéographiques.  

Il faut arrêter de planter, n’importe quoi n’importe où ! Quand on implante une espèce végétale dans un milieu quel qu’il soit il y a forcément un impact, il peut il y avoir des impacts négatifs. Si on veut préserver la biodiversité et les insectes, les espèces locales sont les plus adaptées.

Plusieurs travaux scientifiques ont démontré que les plantes natives sont plus bénéfiques que les plantes exotiques pour les insectes pollinisateurs sauvages notamment dans les villes. Les espèces exotiques sont visitées par les pollinisateurs mais en termes de biodiversité et de préservation d’habitats la flore locale reste la plus intéressante pour les insectes.

Ne pas tondre trop tôt pour laisser les plantes fleurir

La question du choix des espèces est importante, mais c’est souvent surtout la gestion de la flore qui a un impact sur l’entomofaune,  les espèces spontanées sont très favorables et il ne faut pas tondre trop ras ni faucher trop tôt, il faut laisser les plantes fleurir, mettre en place des fauches tardives, en mosaïque.

Planter des arbustes et des fleurs  «  Végétal local » sert à fournir des ressources adaptées aux abeilles sauvages et les autres insectes pollinisateurs

Je m’inquiète quand je vois des Startup qui distribuent des milliers de sachets de « graines pour abeilles » sans même se poser la question de l’origine des graines et de leur adaptation au milieu. Grâce à la marque Végétal local de l’OFB, les utilisateurs peuvent choisir des espèces locales adaptées aux insectes, c’est une réelle innovation technique pour les pollinisateurs sauvages. Le développement de Végétal local est d’ailleurs une action du Plan national d’action en faveur des pollinisateurs.

La mise en réseaux pour agir

Nous sommes de plus en plus contactés par des mairies qui mettent en place des suivis des pollinisateurs sauvages, avec des actions de sensibilisation. Plus de 200 personnes étaient présentes lors des dernières assises nationales des pollinisateurs organisées à Lyon en 2019 par l’association Arthropologia et c’est encourageant.  Des élus commencent à se mobiliser et les techniciens sont de plus sensibles à ces enjeux, il faut continuer à informer et à agir, les sciences participatives permettent par exemple de sensibiliser un large public.

Pour en savoir plus sur les abeilles sauvages, des naturalistes passionnés ont créée l’ Observatoire des abeilles sauvages sur lequel vous trouverez des ressources bibliographiques et des contacts de spécialistes pour en savoir plus sur la diversité des abeilles sauvages. Le groupement de recherche Pollinéco, regroupe également tout les laboratoires français travaillant sur ces sujets. Travailler en réseaux entre chercheurs et gestionnaire sur la biodiversité est indispensable pour avancer.

Bibliographie

Garibaldi et al. (2013). Wild pollinators enhance fruit set of crops regardless of honey-bee abundance. Science

Hallmann et al. (2017) More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE 12 (10)

Powne . et al., (2019).Widespread losses of pollinating insects in Britain. Nat Commun(10)

 

 

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